Illustration : Peace, Be Still !, par Arnold Friberg
Ainsi, le récit du Christ calmant le vent et la mer déchainée, que nous pouvons lire dans l'Évangile de Saint Marc, est particulièrement approprié :
Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Jésus dormait sur le coussin à l'arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
Mc 4, 35-41
Les vents sont comme nos passions désordonnées qui agitent les flots de notre chair et menacent de nous engloutir dans de sérieux péchés. Mais après avoir calmé la tempête, Jésus réprimande ainsi Ses disciples :
Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N'avez-vous pas encore la foi ?
Il y a deux choses importantes à noter ici. La première est que Jésus leur demande pourquoi ils n'ont pas "encore" la foi. Maintenant, ils auraient pu Lui rétorquer : « Mais Jésus, nous sommes pourtant montés dans la barque avec toi, alors même que nous avons vu des nuages orageux se former à l'horizon. Vois, nous te suivons, contrairement à tant d'autres. Et nous t'avons réveillé ! » Mais peut-être que notre Seigneur leur répondrait :
Mon enfant, tu es certes resté dans la barque, mais en gardant les yeux fixés sur les vents de tes passions plutôt que sur Moi. Tu désires en effet être rassuré par Ma présence, mais tu oublies si vite Mes commandements. De plus, il t'aurait fallu Me réveiller bien avant que les tentations ne te submergent. Lorsque tu auras appris à te reposer à Mes côtés, à la proue de ta vie, ce n'est qu'alors que ta foi deviendra authentique et ton amour véritable.
Voilà une réprimande bien dure et une parole bien difficile à entendre ! Mais c'est à peu près ainsi que Jésus m'a répondu lorsque je me suis plaint à Lui que, quand bien même je prie tous les jours, récite le Rosaire, vais à la messe, me confesse chaque semaine, et toutes sortes d'autres choses... je continue de tomber sans cesse dans les mêmes péchés. La vérité est que j'ai été aveugle, ou plutôt, aveuglé par les désirs de la chair. Pensant suivre le Christ à la proue, j'ai vécu tout ce temps à la poupe de ma propre volonté.
Saint Jean de la Croix enseigne que les passions de la chair, si nous y succombons, peuvent aveugler notre raison, assombrir l'intellect et affaiblir la mémoire. En effet, bien qu'ils venaient de voir de leurs yeux Jésus chasser des démons, relever des paralytiques et guérir une foule de malades, Ses disciples oublièrent tout aussi vite la puissance de leur Maître et furent pétrifiés de peur devant la force des vents et des vagues déchaînées. De même, Saint Jean de la Croix enseigne que nous devons renoncer à ces passions qui menacent l'authenticité de notre amour et de notre dévotion.
Comme le laboureur sème inutilement du grain dans un champ qu'il n'a pas labouré, et comme la terre qui n'est pas cultivée ne donne que de mauvaises herbes, de même celui-là travaille sans fruit, et ne fait aucun progrès dans sa vie spirituelle, qui ne surmonte pas comme il faut ses passions; et ses passions ne feront naître en l'âme que ténèbres, négligences et langueurs, si elles ne sont purifiées par une sévère mortification.
—Saint Jean de la Croix, La montée du Carmel, livre premier, chapitre, n° 4 ; télécharger le PDF
Tout comme les disciples étaient aveugles devant la toute-puissance du Seigneur qui marchait à leurs côtés, il en va de même pour les chrétiens qui, malgré de nombreux exercices de dévotions ou d'actes de pénitences extraordinaires, ne s'efforcent pas avec persévérance de maîtriser leurs passions.
Car ceci est caractéristique de ceux qui sont aveuglés par leurs passions ; quand ils sont au milieu de la vérité et de ce qui est bon pour eux, ils ne le voient pas plus que s'ils étaient plongés dans l'obscurité.
—St. Jean de la Croix, Ibid. n° 7
En d'autres termes, nous devons avancer, pour ainsi dire, vers la proue du navire…
Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger.
Mt 11: 29-30
Le joug est l'Évangile du Christ, résumé dans les mots se repentir et aimer Dieu et son prochain. Se repentir, c'est rejeter l'amour de tout attachement ou créature ; aimer Dieu, c'est Le rechercher Lui et Sa gloire en toutes choses ; et aimer son prochain, c'est le servir comme le Christ nous a aimés et s'est mis à notre service. C'est à la fois un joug parce que notre nature trouve cela pénible ; mais il est « léger » car la grâce nous donne la force nécessaire pour le porter. « La charité ou l'amour de Dieu », nous dit le Vénérable Louis de Grenade, « rend la loi douce et délicieuse ». [1] Ce qu'il nous faut comprendre, c'est que si nous sentons que nous ne pouvons pas maîtriser les tentations de la chair, nous ne devons pas être surpris d'entendre le Christ nous dire à nous aussi : « N'avez-vous pas encore la foi ? » Car notre Seigneur n'est-Il pas mort, non seulement pour enlever nos péchés, mais pour vaincre précisément leur emprise sur nous ?
Comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que fût réduit à l'impuissance ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché.
Romains 6: 6
Maintenant, qu'est-ce qui nous sauve du péché, sinon l'obtention du pardon de nos fautes passées et la grâce d'en éviter d'autres à l'avenir ? Quel était le but de la venue de notre Sauveur, sinon vous aider dans le travail de votre salut ? N'est-il pas mort sur la Croix pour détruire le péché ? N'est-il pas ressuscité des morts pour vous permettre de ressusciter à une vie de grâce ? Pourquoi a-t-il versé Son Sang, sinon pour guérir les plaies de votre âme ? Pourquoi a-t-il institué les sacrements, sinon pour vous fortifier contre le péché ? Sa venue n'a-t-elle pas eu pour effet d'aplanir et rendre droit le chemin du Ciel ... ? Pourquoi a-t-il envoyé le Saint-Esprit, sinon pour vous faire passer de la chair à l'esprit ? Pourquoi l'a-t-il envoyé sous la forme d'un feu, si ce n'est pour vous éclairer, vous enflammer et vous transformer en Lui-même, afin que votre âme soit ainsi rendue apte à entrer dans Son propre Royaume divin ? … Craignez-vous que la promesse ne se réalise pas, ou que malgré l'assistance de la grâce divine, vous ne pourrez pas garder Sa loi ? Votre incrédulité est blasphématoire ; car, d'une part, vous mettez en doute la véracité de la Parole de Dieu et, d'autre part, vous le considérez comme incapable de réaliser ce qu'Il a promis, puisque vous Le croyez capable de vous offrir un secours insuffisant pour répondre à vos besoins.
—Vénérable Louis de Grenade, Le Guide des pécheurs
Oh, que ce rappel nous est précieux !
Deux choses sont donc nécessaires. La première consiste à renoncer aux passions qui cherchent à tout instant à enfler jusqu'à devenir une vague de péchés. La seconde consiste à avoir foi en Dieu, et en Sa grâce et Sa puissance capable d'accomplir en vous ce qu'Il a promis. Dieu le fera assurément lorsque vous lui obéirez, lorsque vous prendrez sur vos épaules la Croix de l'amour du prochain en mortifiant votre propre chair. Et avec quelle célérité Dieu peut accomplir cela lorsque vous vous engagez sérieusement à ne laisser entrer aucun autre dieu dans votre vie. Saint Paul résume tout ce qui précède de la manière suivante :
Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. Car toute la Loi est accomplie dans l'unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres. Je vous le dis : marchez sous la conduite de l'Esprit Saint, et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair.
Gal 5: 13-16
Pensez-vous que cela soit impossible ? Saint Cyprien lui-même douta un jour que cela fût possible, voyant à quel point il était attaché aux désirs de sa chair.
J'ai insisté sur le fait qu'il était impossible de déraciner les vices que notre nature corrompue avait implantés en nous, et confirmés par des années d'habitudes ...
—Vénérable Louis de Grenade, Le Guide des pécheurs
Saint Augustin a ressenti à peu près la même chose.
… Quand il a commencé à penser sérieusement à quitter le monde, mille difficultés se sont présentées à lui. D'un côté, apparurent les plaisirs de sa vie passée, lui murmurant : « Veux-tu nous quitter pour toujours ? Ne serons-nous plus jamais vos compagnons ? »
—Ibid.
De l'autre côté, Augustin s'émerveilla de ceux qui vivaient dans cette véritable liberté chrétienne, s'écriant ainsi :
N'est-ce pas Dieu qui les rendit capables d'accomplir ces choses ? Tant que vous continuez à ne compter que sur vous-même, il est inévitable que vous tombiez. Jetez-vous sans crainte dans les bras de Dieu ; Il ne vous abandonnera pas.
—Ibid.
En renonçant à cette tempête de désirs qui cherchait à les faire sombrer tous les deux, Cyprien et Augustin jouirent d'une liberté et d'une joie retrouvées, qui révéla l'illusion et les vaines promesses de leurs anciennes passions. Leurs esprits, ayant recouvré la vue et n'étant dès lors plus soumis à leurs passions, commencèrent à se vider de leurs ténèbres, et à se remplir de la lumière du Christ.
Cela aussi est devenu mon histoire, et j'exulte en proclamant combien Jésus-Christ est le Seigneur de chaque tempête.
Mark Mallett
The Storm of Our Desires